Religion et VIH
Au sein des sociétés, la religion joue un rôle moral qu’il est parfois difficile de concilier avec la lutte contre le VIH : stigmatisation des pratiques sexuelles à but non reproductif, opposition à l’usage du préservatif, tolérance envers les violences faites aux femmes, etc. Pourtant, de plus en plus de chefs religieux se lèvent pour lutter aux côtés des communautés touchées par le VIH, conscients qu’ils ont un rôle utile à jouer dans la prévention.
Pour en savoir plus sur la place des chefs religieux dans la prévention.
Note : Par religion, nous entendons les faits religieux qui englobent un « fait collectif », mettant en jeu différents acteurs (croyants, autorités religieuses mais également autorités civiles) ; un « fait matériel », générant des organisations spatiales particulières ; un « fait symbolique », à l’origine de différentes représentations du monde et de l’espace et un « fait expérientiel et sensible » qui intervient dans les interactions entre l’individu ou les sociétés et l’espace (Willaime, in Azria, Hervieu-Léger, 2010).
En effet, la religion fait partie intégrante des déterminants de santé qui sont utilisés afin de mettre en place des politiques de santé publiques telles que les campagnes de prévention du VIH. C’est au travers de ces différentes dimensions du fait religieux que chacun·e doit trouver sa réalité et pouvoir la confronter à son expérience de vie du milieu dans lequel il·elle se trouve.
Des personnes vivant avec le VIH, toutes croyantes, ont pris la parole pour expliquer en quoi la religion est bénéfique pour eux, mais aussi comment elle peut être un obstacle à une bonne santé.
« La religion créé un climat de religiosité associé à un bien-être psychologique »*, mais elle peut aussi stigmatiser les gens.
Nicolas
« Le discours que je n’aime pas, c’est lorsque les chefs religieux stigmatisent les personnes vivant avec le VIH. Ils donnent de fausses informations aux croyants, soi-disant que le VIH est une punition de Dieu, que i=i c’est l’œuvre de Dieu et non des médicaments, que c’est un signe de l’absence de vice dans le corps. Malgré tout, l’église est un lieu de refuge pour les personnes vivant avec le VIH, surtout celles qui n’ont pas toutes les informations et qui cherchent des explications dans la foi. Lorsqu’on est très informé, on peut pratiquer sa foi de façon sûre, car on peut faire la part des choses entre la réalité scientifique et les paroles des chefs religieux.
Pour moi, il n’y a pas de lien entre la religion et le VIH, comme pour n’importe quelle maladie. Ce n’est pas une punition divine. J’accepte cette maladie, comme n’importe quelle maladie qui arrive à tout un chacun. Mais je crois tout de même en Dieu. La religion m’apporte quelque chose point de vue spiritualité, j’apprends à bien vivre avec la communauté, des choses sur la nature. La paix. La religion m’a permis d’accepter cette maladie et de vivre avec, Dieu m’a donné la force. Grâce à la religion, on peut faire beaucoup de choses. La foi est un ciment. »
i = i ou indétectable = intransmissible veut dire qu’une personne séropositive qui a une charge virale indétectable grâce à son traitement peut avoir des relations sexuelles avec son·sa partenaire sans préservatif sans aucun risque de transmettre le VIH, quelles que soient les pratiques (rapports vaginaux, anaux, oraux). Elle peut donc aussi avoir des enfants séronégatifs de manière naturelle (sans assistance médicale).
« La religion réduit les comportements à risques pour la santé et prescrit de saines habitudes de vie, alimentaires, ou encore d’hygiène physique. »
Alice
« La religion donne un cadre aux gens qui leur permet d’avoir une vie équilibrée. Quand on a la foi, on entre dans un cadre, on n’est pas tout à fait libre, on a des choses à faire, mais ça nous permet de vivre en harmonie, avec les autres et avec nous-même. Lorsque l’on est laissé à soi-même, on en vient à avoir de mauvaises pensées : on veut acquérir toujours plus, au détriment des autres. Avoir la foi permet d’apprécier ce que l’on possède. La religion donne de l’amour, du partage, une hygiène de vie physique et spirituelle (ne pas fumer, ne pas boire, etc.), des choses plus importantes que l’argent. La religion nous protège. C’est surtout bénéfique pour les personnes qui ont des difficultés à se donner un cadre. La foi aide à se résilier, à surmonter des maladies graves. Croire en une vie après la mort, une question très dure pour un être humain, ça permet de vivre avec un poids en moins. »
« La religion offre un soutien moral, émotif ou économique aux membres de la communauté »*, mais certains thèmes sont tabous en son sein.
Yohan
« Je vis avec le VIH, c’est une fatalité, et la religion m’aide à l’accepter. Ça fait partie de ma vie. Je crois que Dieu est pitié, et qu’il m’aide. Je mets sa parole en pratique Je pense aussi qu’il m’accepte comme je suis. Les communautés de fidèles, elles se constituent des fidèles eux-mêmes en dehors des lieux de culte. C’est comme une grande famille.
Pourtant, certains me font croire que je suis coupable. Beaucoup de religions n’acceptent pas les homosexuels, et encore moins les personnes vivant avec le VIH. Jusqu’à présent, les religions ne font rien pour les droits des homosexuels et des personnes vivant avec le VIH. Même les associations rattachées à un dogme, ils ne se mobilisent pas pour nous. Ils ont des préjugés négatifs sur le VIH et la sexualité. »
Malheureusement, « la religion interdit certains actes médicaux. »*
Thérèse
« La religion aide à s’accepter, mais elle n’apporte rien par rapport à la santé physique. J’ai du mal avec les gens qui croient aveuglément en leurs chefs religieux, ils leur prêtent des pouvoirs surnaturels en croyant qu’il suffit d’apposer ses mains pour être guéris. C’est de la manipulation, et il y a souvent de l’argent qui est demandé en échange pour ce service. C’est comme ça que des gens qui étaient indétectables croient qu’ils sont guéris et arrêtent leur traitement. Les chefs religieux n’ont pas fait d’étude et ne savent pas ce qu’ils racontent sur la médecine, ils disent que ces maladies sont des punitions de Dieu. Donc tout le monde est puni ? Le bon Dieu est juste, il ne punit pas. Ces chefs religieux font croire qu’un enfant innocent qui né avec le VIH est puni, et il va vivre toute sa vie avec ça. Ça se fait au détriment des plus précaires, pouvant aller jusqu’à les tuer en les dissuadant de prendre leurs traitements. Il y en a même qui empêchent les gens de faire des transfusions sanguines. Ce sont des criminels. Je me demande si ces personnes sont réellement croyantes et quel Dieu elles servent. »
En conclusion, la religion peut (et doit !) s’articuler avec la lutte contre le VIH, étant donné qu’elle façonne la façon dont les individus agissent et voient le monde. Les politiques publiques de lutte contre le VIH « auraient à gagner en tenant davantage compte des croyances populaires, non seulement des croyances religieuses ou spirituelles mais des croyances en général qui sont à la source de nos comportements qui peuvent paraître irrationnels aux yeux d’une institution qui fait de la santé une valeur absolue. »
*Alex Battaglini, « Religion, santé et intervention », dans Solange Lefebvre (dir.), La religion dans la sphère publique, Les presses de l’université de Montréal, 2005, chapitre 6